Il ne sert à rien de nous voiler la face : notre planète va mal et ses mécanismes, d’habitude stables sur des périodes qui se comptent en millions d’années, sont de plus en plus perturbés par nos activités. Mais nous découvrons encore régulièrement à quel point nous avons véritablement plongé la Terre dans une nouvelle ère, où c’est l’humanité qui est responsable de toutes ces perturbations. Et à l’échelle d’une planète, il n’y a pas de changement anodin : absolument tout peut provoquer des réactions en chaine catastrophiques.
Un cycle du sel ruiné
C’est le cas par exemple du cycle du sel. Celui-ci débute avec l’érosion de la « roche mère » (le socle rocheux sous les sols, qui effleure par endroit) due aux ruissellements et aux infiltrations souterraines. Ce sel arraché à la roche se retrouve dans les cours d’eau, puis dans la mer, où il finit par se déposer dans les grands fonds et à se cristalliser sous la pression en de nouvelles roches. Un processus qui prend bien sûr un temps inimaginable à l’échelle humaine.
L’ennui, c’est que nous avons réussi à perturber ce rythme immuable. Avec notre manie de creuser d’abord : l’humanité a parsemé la Terre de mines, de plus en plus profondes, qui pulvérisent de la roche par millier de tonnes et ramènent les déblais à la surface. Tout en exposant ainsi des couches profondes à l’action du ruissellement. Un phénomène qui n’a donc rien d’anecdotique, mais qui n’avait jusqu’ici été que très peu étudié. Si tout le monde connait le parcours de l’eau, peu de gens réalisent que le cycle du sel lui est intimement lié.
La Terre, planète saumâtre
Jusqu’à une étude combinée menée par des chercheurs de l’Université du Maryland, du Connecticut, de Virginia Tech, entre autres. L’équipe a examiné une variété de différents sels – pas seulement le chlorure de sodium, notre fameux sel de cuisine. Rendue publique au début du mois, sa conclusion alerte sur une véritable « menace existentielle » pour les réserves d’eau douce. Car tout ce sel qu’on extrait et répand plus vite que les profondeurs de la planète ne peuvent le réabsorber, il se retrouve sur nos sols agraires et dans les nappes phréatiques. Contrairement à ce que laissait penser la fonte des glaces qui aurait pu diluer le sel des océans, notre planète pourrait bien devenir de plus en plus saumâtre.
« Il y a vingt ans, tout ce que nous avions, c’étaient des études de cas. Nous pouvions dire que les eaux de surface étaient salées ici à New York ou dans la réserve d’eau potable de Baltimore. Nous montrons maintenant que c’est un cycle – de la profondeur de la Terre à l’atmosphère – qui a été considérablement perturbé par les activités humaines. »
Gene Likens, de l’Université du Connecticut, cité par Science Alert
Perturbation des pluies et des écosystèmes
L’étude, une des premières du genre à être aussi complète, souligne par exemple l’impact catastrophique de nos épandages de sel dégivrant. 20 millions de tonnes sont produites chaque année aux États-Unis, ce qui représente 44% de la consommation de sel du pays. La France à elle seule en déverse un million de tonnes chaque hiver sur ses routes. Des sels qui ruissellent, comme les émanations de plomb des pots d’échappement, dès que les pluies ou les eaux de fonte ruissellent de ces routes. Et ils se retrouvent dans les champs et les zones naturelles. Ce qui n’a rien d’anecdotique : les scientifiques américains estiment que ce sont près de 2,5 milliards d’acres de sol dans le monde qui se retrouvent salés par l’activité humaine. Ce qui signifie qu’ils deviennent impropres à toute forme de culture, et très peu de plantes parviennent à y survivre.
Et ça n’est pas tout : la salinisation fait baisser la possibilité que de la glace ou de la neige se forme dans une région. Y compris en haute montagne, ce qui a un impact non négligeable – mais mal connu – sur le rythme des pluies dans les vallées. « Si vous pensez à la planète comme à un organisme vivant, lorsque vous accumulez tant de sel, cela pourrait affecter le fonctionnement des organes vitaux ou des écosystèmes » paraphrase Sujay Kaushal de l’Université du Maryland. « Or, c’est une question très complexe, car le sel n’est pas considéré comme un contaminant primaire de l’eau potable aux États-Unis, donc le réguler serait une grande entreprise. Mais est-ce que je pense que c’est une substance qui s’accumule dans l’environnement à des niveaux nocifs ? Oui. »