La technologie du sonar (un acronyme anglais pour sound navigation and ranging) a déjà plus d’un siècle et, malgré qu’elle ait rendu de fiers services durant les deux grands conflits mondiaux pour détecter les sous-marins et les mines, les militaires actuels lui cherchent une remplaçante.
Le sonar a causé d’irréparables dégâts aux populations de certains animaux marins : il utilise les propriétés particulières de la propagation du son dans l’eau pour détecter et situer les objets sous l’eau en indiquant leur direction et leur distance, un phénomène nommé l’écholocation. Mais les mammifères marins, dauphins et baleines entre autres, se repèrent aussi ainsi et les « bruits » d’origine humaine les ont souvent déroutés, entrainant parfois de catastrophiques échouages massifs.
Écouter la faune
Lori Adornato, chef de projet à l’agence de recherche militaire américaine Darpa, cherche une alternative plus écologique à l’émission de puissants sons sous l’eau, et il estime que c’est justement la faune sous-marine que les marins pourraient écouter afin d’en savoir plus sur ce qui se tapit sous les flots.
Son projet, intitulé « Persistent Aquatic Living Sensors » (Pals), permet d’écouter les animaux marins dans le but de détecter les menaces sous-marines, rapporte la BBC. Les bouées sonars actuelles, déployées par l’armée pour détecter les activités sous-marines ennemies, ne fonctionnent que pendant quelques heures sur une petite zone en raison de l’autonomie limitée des batteries. Le système Pals pourrait au contraire couvrir une vaste région pendant des mois. Il pourrait constituer un moyen quasi permanent de surveiller les côtes et les canaux sous-marins, tant que les espèces concernées peuplent la région.
L’idée est de se concentrer sur les signaux d’alerte qu’émettent certains animaux, et qui peuvent s’entendre sur de très longue distance avec un équipement approprié. La Darpa a choisi deux êtres fort différents de la faune marine : d’un côté l’énorme mérou goliath, et de l’autre les toutes petites crevettes pistolets.
Gros poisson et petite crevette
Ces mérous, qui peuvent peser jusqu’à 300 kg, sont courants dans les eaux américaines et émettent des cris particuliers pour dissuader les intrus ; des sons qui peuvent porter jusqu’à 800m. L’équipe de la Darpa se concentre sur ces appels d’alerte, pas forcément faciles à distinguer des autres cris émis par ces poissons. Elle a donc a confié cette tâche à des algorithmes d’apprentissage automatique, entraînés en écoutant un catalogue de milliers d’enregistrements jusqu’à ce qu’ils puissent distinguer et classer les différents cris de mérous.
Du côté des arthropodes, c’est encore très particulier : la crevette-pistolet dispose d’une pince plus grande que l’autre, qui en se fermant peut produire une bulle qui implose violemment. Un court flash lumineux intense, mais invisible à l’œil nu, est émis à ce moment, indiquant que des pressions et des températures extrêmes d’au moins 4.700 degrés C° doivent exister à l’intérieur de la bulle pendant un bref instant. Une détonation survient, pouvant atteindre 220 décibels. Cette « arme » peut étourdir la proie de la crevette, briser sa coquille ou même la tuer, d’où le surnom de crevette-pistolet.
Des animaux marins comme chiens de garde
Les crevettes produisent aussi ce bruit pour communiquer entre elles, en particulier pour signaler un danger. Un banc de crevettes émet un souvent une sorte de bruit continu, selon la Darpa. Or, là aussi, les chercheurs de l’armée américaine estiment qu’en étudiant suffisamment ces sons, on pourrait savoir lesquels correspondent à un avertissement et, de là, savoir que quelque chose de gros s’approche du récif peuplé de crevettes. De là à déterminer s’il s’agit d’un prédateur, d’un sous-marin, ou d’un drone, on n’en est pas encore là.
Un autre avantage de cette étude est qu’elle permet une écoute passive, là où un sonar émet des sons qui peuvent donc être détectés par l’ennemi, intervertissant les rôles entre chausseur et proie. Autre métaphore issue de la faune pour cette technologie d’écoute qui aura au moins pour mérite de ne pas mettre en danger les animaux.