Trop stéréotypée, pas assez réaliste, incompréhensible, mais vous continuez pourtant d’enchainer les épisodes de telle ou telle série. Un comportement répandu, qualifié de « hate-watching » et qui ne date finalement pas d’hier.
Inspiré du binge-watching, qui consiste à enchainer sans discontinuité les épisodes d’une série, le hate-watching revient à faire autant, mais avec un contenu que l’on n’aime pas. Un raisonnement à première vue illogique et qui, pourtant, ne date pas d’hier. Depuis longtemps, les êtres humains consomment des contenus qu’ils disent ne pas aimer, telle une variante de plaisir coupable.
Mais ce n’est qu’en 2012 qu’une journaliste du New Yorker a trouvé la meilleure formule pour qualifier ce phénomène. Le hate-watching, que l’on peut traduire tout simplement par « regarder quelque chose que l’on déteste », a pris de l’ampleur ces dernières années, à mesure que les plateformes de streaming se développaient, proposant toujours plus de contenus.
Et si plusieurs facteurs sont à l’œuvre dans cette pratique plus répandue que l’on imagine, on ne peut s’empêcher de penser que le binge-watching, entré dans les mœurs, y est pour beaucoup. Trop habitués à consommer sans cesse des films et séries, on en vient à visionner des choses qu’on n’aime pas pour répondre à ce besoin.
Pourquoi nous infliger cela ?
Il y a quelque chose de sadomasochiste dans le fait de continuer à regarder une série qui nous hérisse les poils tellement elle est vide, stéréotypée ou mal écrite. Pourtant, on peut y trouver du sens.
- Cette pratique peut avoir le pouvoir insoupçonné de nous rendre ponctuellement heureux. Étrange, vous dites ? Pourtant, des recherches ont démontré que ressentir des émotions intenses telles que la haine avait ce pouvoir.
- Des hormones du bonheur sont libérées à la suite de ces émotions, du fait qu’aucune menace réelle n’est présente.
- Aimer détester quelque chose a un aspect exutoire. « Regarder un film ou une série qui ne provoque en vous que de la haine, du dégoût ou du mépris, c’est permettre à votre inconscient de libérer des pulsions agressives sans aucun danger », a expliqué Stephen Dehoul, psychologue et psychothérapeute en addictologie à HuffPost.
- Cela a un côté libérateur dans la mesure où l’on peut mépriser quelque chose sans se sentir méprisable du fait que l’on ne le fait subir à personne.
- Mais plus encore, « c’est une sorte de dépendance anesthésique, dénuée de tout réflexe ou intuition, c’est une forme de jouissance », a poursuivi le psychologue.
- C’est également un moyen de tester nos limites : quand est-ce que c’est trop mauvais ? « Il y a, en quelque sorte, une jouissance à se comparer à celui que l’on trouve ridicule, il vous renvoie à votre propre expérience et peut, outre mesure, vous gratifier ». Le hate-watching a quelque chose de snob.
« On ne passe pas autant de temps devant une œuvre qui provoque un véritable inconfort. Il y a du plaisir. C’est comme ces tubes qu’on jure ne pas supporter mais sur lesquels on bat la mesure, contraint de reconnaître qu’ils sont entêtants »
a souligné le psychiatre Jean-Victor Blanc.
Sentiment d’appartenance
Ce dernier point s’inscrit dans une autre démarche, souvent inconsciente, à savoir le besoin de se sentir rattaché à une communauté. Car dans le fait de poursuivre la torture, on cherche à la fois jusqu’où le massacre va aller, mais aussi des arguments pour la détester.
- Les sentiments que l’on peut éprouver devant une mauvaise série nous poussent à partager notre ressenti à notre proche ou simplement sur les réseaux sociaux.
- Voir que d’autres partagent notre avis nous donne l’impression d’appartenir à une communauté. On continue donc pour nourrir finalement ce semblant de lien.
- Malheureusement, derrière les critiques parfois justifiées se cachent des comportements véritablement toxiques. C’est là où le bât blesse, car si la critique des médias fait partie du jeu, utiliser une série populaire pour faire des généralités insultantes ne le fait pas.
- Et ce n’est pas le seul problème. Dans certains cas, on passe à côté des aspects « positifs » du hate-watching et on se retrouve à véritablement haïr un programme jusqu’à ce que cela génère un sentiment qui dépasse la critique artistique pour nuire à notre santé mentale. Dans ce cas, il est bien évidemment conseillé d’arrêter la torture.
- S’insurger des stéréotypes véhiculés par Emily in Paris, série à succès sur Netflix, ne va pas empêcher la quatrième saison de voir le jour.
Ironie du sort
C’est d’autant plus navrant que regarder un programme pour continuer à le critiquer ou pour voir jusqu’où la stupidité du scénario va aller sert en réalité à celui-ci. Les plateformes ne font pas la différence entre un spectateur qui aime ou qui déteste leur série. Cela ne fait que de l’audience. Renouveler la série vaut donc la peine.
- Le cas d’Emily in Paris en est le parfait exemple. Dès la première saison, la série s’est attirée de très nombreuses critiques sur les réseaux sociaux. Stéréotypes, dialogues affligeants, personnages creux, tout y est décrié.
- Pourtant, Emily in Paris a été renouvelée pour une quatrième saison. Preuve que malgré les critiques, les audiences font dire à Netflix que c’est un succès.
- Même constat pour Elite, dont la 7ème saison vient de sortir sur la plateforme.
En conclusion : le hate-watching a du bon, surtout en tant que variante du plaisir coupable. Il peut être intéressant de consommer un programme pour voir jusqu’où il va aller dans la médiocrité si cela reste une quête saine. Éteindre son cerveau et s’amuser des stéréotypes d’Emily in Paris ne fait finalement pas de mal.