Le président de la task force dédiée à la monnaie numérique de banque centrale, Fabio Panetta, a informé les parlementaires européens sur les progrès de l’euro digital. Au-delà de ses déclarations de bonnes intentions, subsistent des interrogations pratiques : sera-ce un « crypto-euro » ? Une nouvelle version officielle de cash électronique ? Qu’est-ce qui se cache sous le capot, niveau techno ?
« L’euro numérique n’aura aucun lien avec le bitcoin, nous ne savons même pas si la blockchain sera utilisée »
Pourquoi est-ce important ?
La Banque centrale européenne (BCE) explore depuis juillet 2021 les tenants et aboutissants d’un euro numérique. Cette phase d’étude devrait se clore à l’automne prochain. L’élaboration d’une monnaie numérique de banque centrale exige naturellement des choix relatifs à la conception technique mais aussi aux conséquences sur la stabilité financière, la politique monétaire et les services de paiement. S’y ajoutent les enjeux importants de la protection de la vie privée, de la lutte contre le blanchiment d'argent et l'évasion fiscale. Beaucoup de choses sont dites, espérées, fantasmées à propos d’un euro digital. Le projet devrait gagner en transparence et précisions concrètes en 2023 avant une potentielle phase de mise en œuvre.L’actu: « Un euro numérique devrait répondre à la préférence croissante pour les paiements numériques, venant en complément du cash pour offrir aux Européens la possibilité d’effectuer leurs paiements dans l’ensemble de la zone euro, sans frais », a déclaré lundi Fabio Panetta, membre du directoire de la BCE, devant la commission des affaires économiques et monétaires du Parlement européen.
L’essentiel: Le banquier central italien, qui préside la task force dédiée à la numérisation de notre monnaie unique, a ainsi rappelé les priorités du projet:
- « Nous voulons préserver le rôle de la monnaie de banque centrale dans les paiements de détail en offrant une option supplémentaire pour le paiement en monnaie publique, y compris dans les secteurs tels que le commerce électronique, où cela n’est pas possible actuellement. »
- « Un euro numérique devrait être accessible et facile d’utilisation dans l’ensemble de la zone euro, comme le sont les espèces à l’heure actuelle. »
- « L’euro numérique serait un bien public. Il serait donc logique que ses services de base soient proposés gratuitement, pour les paiements entre particuliers, par exemple, comme c’est le cas pour le cash. »
Fervent opposant aux cryptomonnaies, au premier rang desquelles bitcoin évidemment, Fabio Panetta a insisté sur ce que ne serait pas l’e-euro :
- « Soyons clairs : l’euro numérique ne sera jamais une monnaie programmable. La BCE n’imposera aucune limite quant au lieu, au moment ou au bénéficiaire des paiements effectués par les utilisateurs d’un euro numérique. Un tel dispositif serait équivalent à un système de vouchers, mais les banques centrales émettent de la monnaie, et non des bons d’achat. »
- L’euro numérique ne sera pas une menace nuisible à la confidentialité des données de paiement car « en tant que banque centrale, nous proposons de ne pas avoir accès aux données à caractère personnel. »
- Concernant l’équilibre à trouver entre protection de la vie privée et objectifs publics de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme, le membre de la BCE a renvoyé la balle dans le camp des législateurs européens. L’institution monétaire avait déjà précisé que, conceptuellement, l’euro numérique n’autoriserait pas l’anonymat complet, les utilisateurs devant s’identifier selon les procédures courantes de connaissance de la clientèle (KYC).
« Pour que l’euro numérique soit largement adopté, des fonctionnalités attractives et une expérience utilisateur agréable sont également nécessaires »
La question : L’euro numérique sera-t-il une cryptomonnaie officielle basée sur une blockchain ?
Au-delà de tous ces enjeux, le représentant de la BCE n’a pas apporté de détails précis sur les dimensions techniques. Il a rappelé que l’Eurosystème pourrait créer une nouvelle application propre à l’euro numérique, qui comprendrait uniquement des fonctionnalités de paiement de base opérées par des intermédiaires supervisés.
- Ces intermédiaires pourraient intégrer l’euro numérique à leurs propres plateformes, leurs applications ou interfaces bancaires. Et les paiements pourraient être effectués à l’aide d’un smartphone, de cartes physiques ou éventuellement d’autres appareils connectés (les montres par exemple).
Interrogé par les députés européens à propos de la base technologique sur laquelle s’appuierait l’euro numérique, le représentant de la BCE n’a ni confirmé ni exclu l’utilisation d’une blockchain.
- Pour être plus nuancé, Panetta a évoqué la technologie du registre distribué (DLT), l’élément de langage institutionnel pour parler diplomatiquement d’une « famille de technologies » visant à résoudre sans s’appuyer sur une coordination centrale le problème de l’obtention d’un consensus entre les entités participantes, nécessaire à la validation des données et à la mise à jour dudit registre distribué.
- Le président de la task force euro numérique a indiqué que les experts étaient encore en train d’évaluer le potentiel de la DLT et la mesure dans laquelle cette technologie blockchain pourrait améliorer les services. Car des inconvénients potentiels entrent en ligne de compte tant en termes d’efficacité, de vitesse de transaction, d’évolutivité que d’un point de vue énergétique et environnemental.
Neither Blockchain nor Bitcoin ?
Questionné sur la filiation technologique entre le bitcoin et l’euro numérique par le média allemand Handelsblatt, le banquier central s’est montré catégorique:
- « Nous n’avons pas encore décidé (si l’euro numérique va ou non reposer sur la blockchain) , car la technologie doit suivre la fonctionnalité. En outre, il n’est pas certain qu’une solution décentralisée comme la blockchain puisse faire face aux volumes qui pourraient être générés. Quoi qu’il en soit, notre infrastructure n’aura aucun rapport avec le bitcoin, qui n’est pas de l’argent et repose sur une technologie très inefficace et dévoreuse d’énormes quantités d’énergie. »
« Des voix s’élèvent pour que l’euro numérique soit utilisable dans le monde entier. Mais même si nous limitons les avoirs à, disons, 3.000 euros par personne, cela pourrait générer des tensions financières dans les systèmes financiers nationaux de certains pays hors de la zone euro. »
Le mandat de Fabio Panetta courant jusqu’à la fin de l’année 2027, le Handelsblatt en a profité pour lui demander si l’euro numérique deviendrait réalité d’ici là :
- « Malgré tout l’enthousiasme que je porte au projet, aucune décision n’a encore été prise quant à l’émission de l’euro numérique. En tout cas, les préparatifs prendront encore quelques années. »
- « Je veux que l’euro numérique soit un succès, et non une domination. »
- « L’euro numérique doit compléter et non remplacer les autres moyens de paiement. Nous voulons offrir un bien public aux citoyens, qui coexistera avec les autres moyens de paiement, y compris le cash. »
- « Les citoyens décideront ensuite s’ils veulent utiliser l’euro numérique. Nous devons donc le rendre attrayant pour eux en garantissant commodité, confidentialité, efficacité et sécurité. »