L’INTERVIEW DU WEEKEND – Une petite entreprise de démolition. Christophe De Beukelaer taille en pièces le plan de relance porté par le gouvernement Vervoort. ‘C’est du recyclage de mesures déjà annoncées’, martèle le député bruxellois cdH, qui propose des solutions alternatives ‘mieux structurées pour créer l’économie de demain’.
‘Ceci n’est pas un plan de relance’. Le cdH, par la voie de Christophe De Beukelaer, critique vivement la déclinaison bruxelloise du Plan pour la reprise et la résilience élaboré par l’Union européenne. Pour bâtir l’économie d’après-crise sanitaire, les fonds européens octroyés à Bruxelles auraient pu être plus importants que les 396 millions d’euros obtenus mais surtout mieux investis, soutient le député régional humaniste. Il espère que le gouvernement se montrera réceptif aux meilleures solutions alternatives qu’il propose. ‘Un vrai plan de relance qui régénère l’économie’, en créant de l’emploi et de la richesse durable pour la capitale, ambitionne-t-il. Entretien.
Business AM : La Région de Bruxelles-Capitale a été victime selon vous de la mollesse du gouvernement Vervoort ?
Christophe De Beukelaer : Oui, c’est pour cela que nous avons reçu si peu de fonds européens. L’exécutif bruxellois est arrivé avec beaucoup d’impréparation et, surtout, pas la moindre méthode. Lorsque vous ne savez pas démontrer la pertinence du projet que vous portez, eh bien, vos interlocuteurs prennent le dessus sur vous dans les négociations.
Vous extrapolez ça à partir du simple montant octroyé par l’Europe ou vous disposez d’éléments probants pour dire que les décideurs bruxellois ont négocié la fleur au fusil ?
Il suffit de se pencher sur le plan bruxellois. (sourire) Nous avons observé qu’une grande partie des montants, plus de 50%, relève de dépenses courantes et de recyclage de ce qui se faisait déjà. La Maas (Mobility-as-a-service), c’était déjà dans l’accord de gouvernement. L’achat de bus pour la Stib et la prime Bruxell’air pour l’abandon de la voiture, même chose alors que ça n’a aucun impact significatif sur la relance. Tout comme la digitalisation des interactions entre les citoyens et les entreprises. Tout ça, c’était déjà prévu et ça ne rend pas l’économie plus durable et pourvoyeuse d’emplois.
Et qu’est-ce qui vous permet d’affirmer que le gouvernement bruxellois n’avait pas de méthode ?
J’ai interrogé directement Rudi Vervoort en commission parlementaire, en lui demandant sur quoi, sur quelles études, sur quelles méthodes le gouvernement s’était basé. La seule chose qu’il a été capable de me citer, c’était un rapport de l’IBSA, l’Institut Bruxellois de Statistique et d’Analyse. Il n’a pas voulu nous la fournir cette étude, il a botté en touche. Mais je l’ai obtenue et, franchement, si on s’appuie sur ce document pour élaborer un plan de relance, c’est hallucinant. Ils ont utilisé quelques multiplicateurs keynésiens pour expliquer ce qu’un euro dépensé pouvait rapporter à la Région mais ce n’est pas du tout une analyse des opportunités économiques et de la place de Bruxelles pour certains secteurs économiques.
Manque de préparation, montants insuffisants. Pourquoi tant de défaillance n’émeut pas grand-monde alors ?
On est la capitale de la Belgique et on n’a même pas une proportion du financement à hauteur de notre population. Mais ils nous ont emballé l’histoire. Comme au fédéral, on retrouve tous les partis de la coalition, ils se sont entendus pour montrer que le résultat n’était pas trop grave. Il n’y a que le cdH et le PTB dans l’opposition partout. Comme c’est un dossier à tous les niveaux de pouvoirs, ils se couvrent tous. Ce qui pose problème. Même le Bureau du Plan a annoncé des perspectives catastrophiques à propos du plan de relance national, avec un PIB qui devrait augmenter de 0,2 % d’ici 2026 et créer 3.900 emplois. Le Bureau avance que les plans de relance français et allemands auront plus d’impacts sur notre pays que notre propre plan. On ne peut pas se contenter de si peu.
Comment expliquer le fait que le gouvernement bruxellois manque une opportunité inédite d’investissements publics ?
On n’aura probablement plus autant d’argent à notre disposition dans les prochaines décennies pour créer l’économie de demain. On est à un tournant et Bruxelles est en train de rater ce tournant. Même si 50% des mesures du plan bruxellois sont de vraies mesures de relance, celles-ci ne sont ni structurées ni coordonnées méthodiquement. Ils distribuent un peu à tout le monde, une petite carotte à gauche, à droite, donc il n’y a pas trop de critiques. Nous avons pris notre temps pour bien analyser, c’est flagrant, il n’y a pas de vision cohérente ni de vision d’avenir dans ce plan. On sent bien d’ailleurs que personne ne porte ce plan au sein du gouvernement. Rudi Vervoort ne s’est pas imposé dans les négos, et aucun autre ministre n’a véritablement été chargé du plan de relance.
Comment expliquer cette approche presque de formalité, avec un exécutif bruxellois qui participerait nonchalamment à une sorte d’effort de guerre initié par l’Europe ?
Il n’y a personne dans ce gouvernement qui a une vision économique. Personne n’y défend le monde des entreprises. Ils ont mis l’accent sur le climat à coup de petites mesures, mais ils ne se rendent pas compte qu’on aura besoin du monde économique pour accomplir la transition climatique. Même plus largement, ce gouvernement n’a aucune vision économique permettant d’après servir la question climatique, le bien-être social. D’abord, ça passe par l’économique.
Même s’il n’y a pas le moindre de mal à être de gauche, c’est un gouvernement trop à gauche ?
C’est clair que c’est un gouvernement très à gauche qui préfère prendre l’argent qui vient sous forme de subsides plutôt que, de manière responsable, constituer une manne financière à investir pour régénérer l’économie. Être de gauche n’est pas mal en soi, mais quand c’est l’unique caractéristique, on voit le résultat.
Pour clore ici le débat sur le montant, il persiste un effet trompe-l’œil quant aux moyens octroyés directement par le niveau de pouvoir européen. Car s’ajoutent des moyens supplémentaires en provenance du fédéral, des communautés francophone et flamande, présents en région bruxelloise.
Oui mais de nouveau si le gouvernement bruxellois arrive devant Beliris ou autres les deux doigts dans le nez, avec un plan décousu et sans exigences, on se fait avoir. Bien sûr qu’ils iront chercher des moyens en plus, mais pas à hauteur de ce qu’il devrait. Quand le fédéral prévoit de rénover son Palais de justice, oui c’est à Bruxelles mais ça va attirer deux-trois touristes chinois qui vont s’arrêter pour prendre une photo. Ce n’est pas stratégique. Après, oui la Fédération Wallonie-Bruxelles va investir un peu dans les écoles. Ce n’est pas ça non plus qui va changer la donne car Bruxelles sera toujours minorisée.
Vous critiques sont sans équivoque…
Oui, mes critiques sont fortes et je ne retire rien de ce que je viens de dire.
Mais alors, de façon constructive, qu’est-ce qu’il aurait fallu faire ? Ou mieux, qu’est-ce qu’il serait encore temps de faire ?
Nous, nous avons développé une méthode selon laquelle il convient de consacrer ces financements à quelques secteurs-clés. Nous en avons défini 4 de ces secteurs et dans chacun d’entre eux, nous visons 5 axes stratégiques d’investissement. Nous avons identifié des secteurs d’avenir, pas comme l’aviation ou d’autres industries qui sont petit à petit en train de s’éteindre, vis-à-vis desquels Bruxelles occupe une position particulière. Ces secteurs sont la blockchain, eh oui ; l’intelligence artificielle éthique, j’insiste sur l’éthique ; l’efficacité énergétique domestique et le recyclage de matériaux. Quant aux axes d’investissement, ils viseraient la R&D, la formation de la main d’œuvre qualifiée nécessaire, le soutien aux entreprises qui prennent des risques via des prêts, les initiatives des entreprises publiques/privées et la simplification administrative. Tout ceci permettrait d’éviter le simple saupoudrage de politiques existantes. Le plan de relance ne doit pas être une feuille technique de répartition de subsides. On doit utiliser cette crise comme tremplin.
Votre scénario alternatif de relance, quelle en serait l’estimation ? On reste dans une enveloppe comparable à l’actuelle et on réalloue autrement ?
On propose une nouvelle allocation avec d’autres pourcentages. Cela peut s’appliquer à n’importe quel montant. Plus il est gros, mieux c’est, évidemment. Bien sûr, on devrait faire plus. Mais on sait que ça s’est mal passé. Alors notre proposition constructive au gouvernement consiste à dire : les montants dont vous disposez, investissez-les comme ça. Les emplois de demain vont se retrouver dans ces domaines. On a besoin de décideurs politiques qui ont une vision plus tournée vers le long terme et qui ne se basent pas juste sur les dires de l’entreprise qui vient se plaindre parce qu’elle est en difficulté.
Et qu’est-ce qu’on fera du monde d’avant, de ces entreprises justement qui vivotaient ou qui souffraient financièrement avant le Covid ?
Ce sera un enjeu crucial dans les mois qui viennent, il faudra laisser mourir les entreprises qui n’ont plus d’avenir. On a trop essayé, au niveau belge en particulier, de maintenir absolument à flot des entreprises qui parfois n’ont plus de raison d’être. Parce qu’elles sont mal gérées, parce qu’elles appartiennent à des secteurs qui sont en train de péricliter. On doit oser, on doit avoir le courage politique, d’être en rupture par rapport à ça.
N’étant pas aux commandes de ce plan gouvernemental mais dans l’opposition, c’est sur le travail parlementaire que vous comptez pour tenter de changer la donne ?
On a déjà déposé plusieurs questions parlementaires à ce sujet, on va continuer ce travail pour forcer le gouvernement à quand même rentrer dans une réflexion. J’espère que les ministres entendront notre message et se diront que nous avons des propositions intéressantes dont ils pourraient s’inspirer. Nous allons en permanence insister dans les assemblées et continuer à confronter les ministres. L’argent européen, il doit encore arriver, donc procédons à des ajustements.
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