La biographie d’Elon Musk écrite par Walter Isaacson contient des révélations qui pourraient entrainer d’importantes conséquences géopolitiques, de Washington à Kiev.
Bientôt une enquête sur Musk et une version militaire de Starlink ? Un livre qui cause des remous
Pourquoi est-ce important ?
Le fait était déjà connu : Musk a prétendu avoir fait déconnecter le réseau de mini-satellites Starlink juste avant une frappe de drones ukrainiens sur la flotte russe de mer Noire, perturbant ainsi cette attaque qui semble avoir eu lieu dans le courant de l'année passée. Il a ensuite revu cette version, mais le livre qui vient de sortir et qui retrace la vie du milliardaire d'origine sud-africaine ajoute du contexte à ces allégations, au point d'émouvoir l'appareil d’État américain, sans parler de Kiev. Car on se retrouve là avec un civil milliardaire qui, au nom de ce qu'il estime être juste, accepte ou non de mettre sa technologie au service des États, jusqu'à perturber leurs opérations militaires.Cyberpunk 2023
- La sénatrice démocrate Elizabeth Warren a demandé l’ouverture d’une enquête ce mardi : « Le Congrès doit enquêter sur ce qui s’est passé ici et si nous avons les outils nécessaires pour garantir que la politique étrangère est menée par le gouvernement et non par un milliardaire. »
- Musk dispose du réseau de micro-satellites le plus performant actuellement, Starlink, une constellation artificielle offrant un accès à ultra haut débit au Web, et qui permet d’éviter qu’un pays soit coupé du monde et de sa propre population suite à une catastrophe. Ou une guerre, comme en Ukraine, où le système a fait des miracles.
- Sauf que Starlink est aussi essentiel aux communications militaires et au pilotage des drones, y compris d’attaque, largement utilisés par les Ukrainiens. Et Musk, de plus en plus frustré de se voir embarquer dans un conflit long, a menacé plusieurs fois de retirer son réseau s’il n’était pas payé, forçant le Pentagone à sortir son portefeuille. Puis il a fustigé les « actions offensives » des Ukrainiens.
- Le problème, c’est que c’est lui qui garde le doigt sur l’interrupteur : Isaacson détaille dans son livre comment une attaque-surprise de drone ukrainien sur la flotte russe a été perturbée par une déconnexion de Starlink. Et c’était visiblement intentionnel.
« Starlink n’était pas censé être impliqué dans les guerres. C’était pour que les gens puissent regarder Netflix et se détendre et se connecter pour l’école et faire de bonnes choses paisibles, pas des frappes de drones. »
Elon Musk, cité dans la biographie écrite par Walter Isaacson
« Champion of bullshit«
On se retrouve donc avec une situation digne d’une œuvre cyberpunk, où les corporations détiennent le vrai pouvoir. Et c’est d’autant plus problématique que, passée l’occasion d’incarner un rôle de sauveur, le milliardaire a de plus en plus adopté les vues des réactionnaires américains et de leurs thèses parfois complotistes, et a voulu réhabiliter un Donald Trump largement banni des réseaux sociaux, ce qui le met en porte-à-faux avec le gouvernement américain actuel.
Il faut toutefois noter que selon Mediaite.com, qui a lu le livre, le milliardaire ne ressent personnellement que du dédain envers l’ancien président, qu’il a qualifié de « Champion of bullshit« . Bien qu’il ait trouvé Biden « ennuyeux à mourir », il a dit à l’écrivain qu’il aurait envisagé de voter pour celui-ci en 2020, mais que c’était pour lui une « perte de temps » car la Californie, où il était alors inscrit, n’était pas un État contesté où chaque bulletin comptait.
Il est aussi le partisan d’un cessez-le-feu et de négociations entre la Russie et l’Ukraine, sans daigner remarquer qu’en l’état, ça serait une victoire de Poutine puisque celui-ci garderait le contrôle d’une large part du territoire ukrainien.
La peur de devenir une cible ?
- Selon Isaacson, développer une version militaire de Starlink aiderait à résoudre ce problème, et des discussions seraient en cours entre la firme Starlink et le gouvernement américain pour développer ce « super Starlink » qui serait contrôlé depuis Washington. Musk serait favorable à cette solution.
- On peut aussi déduire que Musk a peur pour son Starlink, devenu de facto un objectif stratégique que les Russes aimeraient détruire. Et les Chinois se font sans doute la même réflexion, en cas de tentative d’invasion de Taïwan.
- Côté ukrainien, ces révélations ne font que justifier la défiance croissante envers Musk : « En ne permettant pas aux drones ukrainiens de détruire une partie de la flotte militaire russe via l’interférence Starlink, Elon Musk a permis à cette flotte de tirer des missiles Kalibr sur les villes ukrainiennes », a écrit Mykhailo Podolyak, conseiller du président Zelensky. « En conséquence, des civils, des enfants sont tués. C’est le prix d’un mélange d’ignorance et de gros ego. »
Le bouquin, quoiqu’il en soit, est déjà un succès : alors qu’il a été mis en vente ce mardi en Chine, 12 heures avant New York grâce au décalage horaire, le livre d’Isaacson occupait ce mardi mardi les trois premières places dans la catégorie des biographies financières et économiques les plus populaires sur l’application du détaillant en ligne JD.com. Juste avant celle de Steve Jobs, du même auteur. Mais aux USA, ceux qui ont pu le consulter appellent déjà à prendre des mesures.